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Posted on Sep 19, 2014

Alain DIERKENS – Président de la Société Royale d’Archéologie de Bruxelles

Pour le sujet de ma conférence, il m’avait été suggéré de parler de l’archéologie à Bruxelles à la fois parce que c’est un domaine extrêmement mouvant, en évolution permanente car j’ai la chance d’être Président de la Société Royale d’Archéologie de Bruxelles, fondée en 1887, qui est dans l’histoire même de Bruxelles un point de référence pour l’archéologie et aussi car je crois que quand on est bruxellois, qu’on fréquente un certain

nombre de rues et de lieux de Bruxelles, c’est l’occasion de remettre l’accent sur certains de ces chantiers archéologiques importants. D’autant que ces chantiers, par les fouilles futures, risquent de changer ce que l’on croyait connaître.

 

http://www.srab.be/

 

C’est évidemment un des très grands plaisirs des historiens que d’essayer de faire le mieux possible en fonction de sources disponibles, de triturer ces textes, de regarder toutes les images possibles et imaginables, regarder les fouilles anciennes et puis de savoir que peut-être une nouvelle lecture de textes va mettre à mal tout ce que vous avez construit. C’est un exercice à la fois intellectuel et d’humilité et un exercice extrêmement sain de critique qui m’amuse beaucoup. Il est très possible que de la même façon dont je relativiserai des certitudes d’hier, vous serez amené à relativiser un certain nombre de propositions que je vous fais aujourd’hui.

 

Mon exposé reposera sur 3 volets :

 

1/ Rappel de deux ou trois points de l’histoire des origines de Bruxelles que l’on croyait bien connus.

 

2/ Je vous rappellerai les circonstances des recherches archéologiques de Bruxelles et ce faisant, je serai amené à évoquer quantités de réformes administratives belges en général, bruxelloises en particulier qui vont faire intervenir des institutions, des gens que vous connaissez de nom ou de réputation, inévitablement.

 

3/ J’essaierai de vous montrer comment un certain nombre de chantiers archéologiques récents ont permis de répondre à des questions que les historiens n’arrivaient pas à trancher et comment des chantiers récents ont apportés des surprises totales à ce que l’on croyait connaître et comprendre.

 

D’abord vous rappeler deux-trois choses sur la doxa, sur la vérité que l’on enseignait du temps de mon école primaire sur l’histoire de Bruxelles et qui semblait bien assise. On racontait volontiers que les premières mentions de Bruxelles, qui n’est pas une ville ancienne mais médiévale, étaient liées à la visite dans ces régions marécageuses d’un évêque de Cambrai qui avait construit une église Saint-Géry, là dans la vallée de la Senne. On disait aussi qu’il y avait une autre église sur les hauteurs, dédiée à Saint Michel, le futur endroit où s’édifiera la collégiale, actuellement cathédrale, Saint-.

Michel et Sainte Gudule, celle-ci ayant été fondée en 1047. Et on vous disait aussi que dans la polarité bruxelloise, à côté de l’origine de la vallée, à côté de l’oratoire à Saint Michel, il y avait le troisième lieu qui est le Palais qui d’abord était un château de fond de vallée puis qui a été déménagé sur les hauteurs, à l’endroit de la Place Royale et du Palais Royal vers le 11è siècle.

 

Donc, une ville mérovingienne de fond de vallée, centre de tout. Il est évident qu’au 19è siècle, on ne veut pas penser que Bruxelles n’est pas le centre de la région et que les pseudopodes que sont d’une part Saint Michel et le Palais, sont venus en un second temps.

Et puis, ce discours, enseigné longuement avec force détails de l’étymologie et qui ne fait intervenir rien du tout en matière d’archéologie. C’est uniquement une reconstruction sur base de textes et un peu de topographie.

 

Cette construction a été complètement déconstruite parce que des historiens ont pensé que les textes sur lesquels d’autres s’étaient appuyés n’avaient pas été bien analysés et qu’on pouvait légitimement les mettre en question.

 

Ainsi, l’évêque qui serait venu au 7ème  siècle est mis aux oubliettes par une tendance historiographique : on dit que le témoignage qui en parle est du 11ème ; que l’évêque dont on parle est à peine connu et qu’en plus, le Bruxelles dont on parle dans ce texte du 11ème n’est pas notre Bruxelles mais un Bruxelles du côté d’Arras ! Hop, on élimine le 7ème siècle !

 

Et puis on montre qu’un certain nombre de documents du 10ème et du 11ème siècle sur lesquels on s’appuyait, sont des documents soit faux, soit falsifiés. Et on élimine un certain nombre de mentions dont la charte de fondation de Sainte Gudule de 1047 qui est un faux évident. Ce qui ne veut pas dire que tout ce qu’on raconte dans la charte est faux… Il ne reste donc de la construction première plus rien d’ancien, plus de Sainte Gudule, plus d’oratoire

à Saint Michel, un Palais tardif mais dont on a montré qu’il ne devait pas succéder à une résidence de fond de vallée parce que le château de fond de vallée dont on faisait une vérité est attesté par un texte hagiographique dont on a vu aussi qu’il racontait des calembredaines.

 

Il nous reste une histoire de Bruxelles tout-à-fait différente.

Un Bruxelles qui apparait au 11ème siècle un petit peu pour des raisons commerciales, un petit peu pour des raisons politiques et dont on se dit que c’était une petite chose qui ne pouvait pas être le centre mais bien une dépendance d’un grand domaine. Georges Despy a défendu l’idée que ce domaine pouvait être Anderlecht ou Molenbeek. On en était à cette vision d’un Bruxelles tardif avec trois pôles mais dont rien ne correspondait à la première manière de voir.

 

Cela ne change pas la face du monde mais pour des historiens et pour comprendre les origines topographiques d’une ville, il est évident qu’entre une vieille ville mérovingienne du fond de vallée et une ville du 11ème siècle dont le noyau est lié au Palais et à buts stratégiques, ce n’est pas la même histoire du tout.

 

Comment débroussailler ce débat ?

 

Ce ne sont pas uniquement les textes qui vont permettre de résoudre les questions. Bien sûr, on relit les textes que l’on connait depuis bien longtemps, on les édite mieux, on les analyse avec des comparaisons meilleures et on arrive à d’autres résultats, passant de ce qu’on appelle la critique à ce qu’on appelle l’hyper critique pour revenir à quelque chose de plus modéré.

 

La vraie innovation, c’est certainement l’ensemble des recherches archéologiques qui ne sont pas intervenues une seule fois dans toutes les discussions préliminaires. Et ça, cela étonne. Comment une ville comme Bruxelles, fière de son passé, n’a pas du tout de tradition archéologique…

 

Même si on pense aux grands travaux de Bruxelles comme le voûtement de la Senne, l’établissement du Boulevard du Midi, la jonction Nord-Midi, les travaux de métro : aucune surveillance archéologique. Il y a bien sûr un certain intérêt pour les monuments que l’on détruit, avec un aspect un peu passéiste. Le comité du Vieux Bruxelles, créé en 1902, a une merveilleuse politique d’enregistrement avant leur destruction et le fond iconographique est exceptionnel mais sur l’archéologie même, l’histoire des bâtiments et tout le matériel archéologique (céramique, monnaies…), il n’y a rien.

 

Le contraste est d’autant plus grand qu’au même moment dans d’autres villes, on voit apparaître des services archéologiques urbains performants ; le modèle toute catégorie encore aujourd’hui est la ville de Gand qui a une très grande tradition d’étude de son patrimoine et qui est aussi la première à avoir créé ce service.

 

On est donc devant un désert…

L’archéologie, c’était jusqu’au vingtième, un service national des fouilles mais qui n’a pas travaillé à Bruxelles. Des sociétés d’archéologues amateurs ont volontiers travaillé dans la région bruxelloise : cimetières, villas romaines…

Est arrivé ensuite, rappelle l’histoire institutionnelle, la communautarisation de l’archéologie en 1978. Bruxelles ne s’y retrouve évidemment pas… Donc, rien qui prend en main des fouilles qui seraient bicommunautaires à Bruxelles.

 

C’est le temps d’un organisme de fouilles qui n’a pas duré longtemps, SOS Fouilles, qui a fait plein de choses entre 1978 et 1989 mais pas à Bruxelles.

1989 : On décide ensuite de régionaliser l’archéologie, partant de l’idée que c’est le monument attaché au sol, lui-même attaché à la région.

 

C’est dans l’entre-deux que commencent enfin des recherches archéologiques mais pas du fait de l’Etat.

Avant d’en arriver là, il y a eu un no man’s land de fouilles communautarisées avec personne pour s’occuper, même en théorie, de fouilles bruxelloises.

C’est le moment où le hasard des choses amène Pierre Bonenfant, Directeur de la SRAB avide de fouilles et

 

profitant du vide législatif, annonce qu’avec la SRAB il est prêt à prendre en charge un certain nombre de chantiers. Et pour ce faire, il bénéficie des plans Spitaels : chômeurs longue durée mis au travail particulièrement dans des entreprises culturelles. Ce qui a permis à plusieurs sociétés d’archéologie de vivre, de créer des cadres et de pouvoir lancer une politique dont aujourd’hui encore, on reste bénéficiaires.

 

Pierre Bonenfant obtient 7 personnes : un archéologue, une historienne d’art, un historien, un dessinateur et un ouvrier. Les fouilles commencent par des fouilles de caves du côté de la Rue au Beurre. On y trouve un certain nombre de restes de maisons médiévales, 14ème et 15ème ; un atelier de pelletiers. Une publication s’ensuit immédiatement et juste à côté de la Rue au Beurre  commence le souhait de repenser l’aménagement de l’environnement de la Bourse.

 

Pierre Bonenfant étant Rue au Beurre, il lui est demandé de faire une investigation le long de la Bourse pour voir ce qu’il en est. Les fouilles ont permis de retrouver les substructions de l’église des frères récollets, fondé en 1238. Ce qu’on a retrouvé  n’est pas un chef d’œuvre esthétique mais c’est une manière de marquer le territoire, de montrer que sous une rue bien fréquentée, il y a des choses.

 

1238, ce ne sont pas les origines de Bruxelles, cela ne résoud aucun des problèmes des historiens ! Mais néanmoins, le souhait de la ville de Bruxelles de visibiliser ces trouvailles a été marqué par la construction du musée de site – Bruxella 1238 – que l’on peut aujourd’hui ne pas trouver splendidement intégré mais qui a fait l’objet de quantités de réflexions et qui, au moment où il a été inauguré en 1994, a été l’objet de commentaires élogieux dans le monde entier. C’est une référence pour la présentation des sites archéologiques.

 

Si j’insiste, c’est parce qu’avec l’éventuel projet de transformer la Bourse en temple de la bière, il est très possible que ce petit musée soit mis à mal. Du point de vue de l’histoire archéologique de Bruxelles, ce serait une perte considérable.

 

La ville de Bruxelles s’intéresse à des travaux Rue au Beurre et à la Bourse et Pierre Bonenfant décide de lancer un chantier de fouilles sous la Place Royale. Faut oser : endroit touristique spectaculaire mais où l’on savait qu’il restait des choses liées au Palais Comtal puis Ducal puis Royal.

 

Au même moment, commencent des fouilles à Sainte Gudule, rendues nécessaires par des travaux de restauration, et les ingénieurs en charge avaient très peur des questions de stabilité et ont demandé un certain nombre de contrôles.

Qui fouille ? La région bruxelloise n’avait toujours pas mis en place son organisme de fouilles, c’est la SRAB qui prend en charge non seulement ce chantier-là mais deux gros chantiers en plus : les fouilles sur l’église peut-être la plus ancienne et les fouilles sur le Palais. Depuis, la région bruxelloise a sa législation. Il y a cette initiative splendide qui a donné à Bruxelles un instrument de travail irremplaçable pour les historiens et pour les entrepreneurs : l’atlas du sous-sol archéologique de la région de Bruxelles, à savoir que commune par commune, parcelle par parcelle, une équipe d’historiens et d’archéologues a fait des recherches pour savoir quelles étaient les probabilités de retrouver des vestiges et par là d’inciter les entrepreneurs à faire des recherches préalables à tout travaux importants. En 24 volumes, toute la région bruxelloise est couverte, toutes les parcelles sont documentées.

 

Aujourd’hui, les fouilles en région bruxelloise sont faites par le musée d’art et d’histoire, les différentes sociétés d’archéologie et les universités.

 

Quelles sont les fouilles récentes qui vont permettre répondre partiellement aux questions que j’ai rapidement évoquées au début ?

 

D’abord et avant tout, les fouilles sous la cathédrale Sainte Gudule, dont on faisait à la base une des églises les plus anciennes et qui a ensuite été éclipsée parce que la charte de fondation est fausse. Les fouilles ont permis de remettre les choses au point. On découvre que l’avant-corps ne fait pas partie de la première église mais a été superposé à une autre dont les murs existent toujours ; on retrouve les murs ; on voit le transept ; on voit des squelettes ; s’il y a des squelettes au Moyen-Age, cela veut dire qu’il y a église. Il n’y a pas de

cimetière sans église à cette époque-là : grâce au carbone 14, on peut dater les squelettes au 9ème, voire 10ème siècle.

C’est une révélation.

On continue en allant vers le chœur même de l’église et là, surprise absolue qui dépasse tout ce qu’on pouvait penser, on trouve les restes d’une crypte dont aucun texte ne parlait. Jamais un texte ou une phrase n’avait été fait à ce propos. Rien.

 

Elle est conservée sur plus de 2m de haut avec quatre grosses colonnes de grès sur un modèle à trois nefs et une crypte sur laquelle il y a des murs enduits et sur les murs enduits, des centaines de graffitis ! Des graffitis qui sont bien datés car postérieurs, forcément, à la fondation de l’église (1047) et avant la construction de l’église gothique (1220).

Surprise absolue ! Il y a là des noms, des éléments de dates, toute l’histoire de Sainte Gudule s’en trouve changée. On peut être amené à réhabiliter une idée que l’on avait évacuée en son temps, celle d’un lieu de culte ancien à hauteur de Saint Michel.

 

Le deuxième point sur lequel les fouilles ont apporté du neuf, c’est le Palais de Coudenberg. On a commencé par ce que l’on savait être les restes du Palais du Duc de Bourgogne, Philippe le Bon au milieu du 15ème siècle. Et de fait, on a retrouvé les vestiges de l’Aula Magna (grande salle de réception) où eurent lieu de grands événements, dont l’abdication de Charles Quint.

On se rend compte aussi que du vieux Palais de Bruxelles, celui qui a flambé en 1731, que l’on a rasé pour faire  la Place Royale actuelle, il devait rester un certain nombre encore d’éléments dont la Rue Isabelle qui va de Godefroid de Bouillon à Bozar.

 

Il y avait là des fouilles importantes effectuées par la SRAB puis avec la ville de Bruxelles. Aujourd’hui, le site est géré en consortium par la région de Bruxelles capitale et la ville de Bruxelles avec un certain nombre d’experts dont les fouilleurs de la SRAB.

 

En quoi ces fouilles peuvent-elles aider à comprendre le débat ancien ?  

 

L’excursion s’impose, c’est prodigieux ! Cet ensemble donne une idée de la ville haute et de la ville basse, tout-à-fait différente de ce qu’on voit aujourd’hui avec l’aménagement du Mont des Arts. Voir l’ampleur de la Salle de Philippe le Bon, voir l’ampleur de la chapelle de Charles Quint, voir les liens entre la rue qui longe le

 

Palais et les hôtels particuliers de la noblesse, tout ça est vraiment très important.

 

Les fouilles archéologiques ont permis aussi de retrouver quantités de choses, spectaculaires ou non : des murs que l’on peut faire remonter au 11ème ou 12ème siècle ; des sols anciens analysés pour leur nature chimique mais aussi pour leur contenu en graines de tous genres qui permettent de reconstruire la végétation de l’époque ou de paille qui aurait pu être jetée, de bois ou autre chose, et on se rend compte que le site même du Palais était déjà occupé comme lieu de passage.

On retrouve également des éléments du Palais du 11ème, 12ème siècle et qui permet de reposer le problème du rapport entre le Duc de Brabant et le Châtelain de Bruxelles.

 

Dans les fouilles archéologiques, nous apprenons aussi tout ce qui concerne les enceintes de Bruxelles. Le tracé de l’enceinte, on le connait. Entre la première et la deuxième, il y a des éléments d’enceinte mais qui ne sont pas des enceintes complètes mais qui jouent un rôle intermédiaire ; il y a réflexion sur le maintien de la première enceinte alors que la deuxième existe, pour des questions de surveillance de ville…

 

L’archéologie à Bruxelles est en développement ; la région de Bruxelles-Capitale fait son boulot, c’est sûr ; un certain nombre de musées comme des institutions font leur travail ; l’avenir vient certainement de nouvelles fouilles mais aussi de cette volonté assez neuve de ne plus dissocier l’archéologie de fouilles de l’archéologie du bâti. Il est évident que cela fait un tout et que cela ne peut être examiné qu’en une fois et qu’on ne peut plus dire : ce qui est au-dessus du sol est du ressort de la commission des monuments et sites et ce qui est en-dessous est du ressort de l’archéologie sans casser toute logique.

 

Il y a certainement des choses à trouver dans la Rue d’une Personne, pas loin de la Grand Place ; également

sous la Grand Place où on peut déjà identifier certains bestiaux qui étaient vendus au marché ; et tant qu’à être fou, l’endroit où on va trouver des tonnes de choses quand on pourra le faire, c’est sous le Palais Royal, dans les jardins. On est là dans l’ancien Palais des Comtes de Louvain et tout l’environnement et ses bâtiments sont inconnus. Un jour, dans 100 ou 200 ans, qu’importe, on aura là des éléments qui vont permettre de voir un autre volet de l’histoire de Bruxelles.

 

Comme toujours en archéologie, on trouvera quelque chose là où personne ne l’attend : être là au bon moment en plus des pouvoirs publics qui font bien leur travail, d’entrepreneurs qui signalent quelque chose et qui jouent en bonne collaboration. Il y a un rôle très important de tous à jouer pour la sauvegarde de la ville de Bruxelles. »